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Une terre où la beauté ne poussait pas


J’y ai vu ma vie. Celle de ma mère, celle de mon père, de mon frère et de toutes les personnes que je croise qui partage ma négritude. On ne se connait pas, mais on se comprend. Lire L’œil le plus bleu de Toni Morrison était pour moi comme une rencontre avec quelqu’un que je connaissais déjà. Bien que le malheur de cette histoire n’ait jamais été le malheur de ma vie, je le comprenais et je le partageais. L’œil le plus bleu est une histoire triste qui en déstabilise plus d’un. Il nous déstabilise, car l’espoir d’une fin heureuse nous rassure, nous réconforte et nous protège ; mais ici, il n’est pas question de nous protéger ou de nous rassurer. Le but est de nous sortir de notre zone de confort.

Avec cette œuvre, l’autrice nous rappelle qu’il n’y a pas si longtemps, la chance d’une fin heureuse pour une personne de race noire était infime. L’histoire de Pecola Breedlove, le personnage principal du roman, réunit en elle seule les traumas de l’esclavage, de la ségrégation et du colorisme. Elle nous raconte ce que la haine de l’Autre engendre. Elle nous raconte le mépris de soi d’un peuple qui n’a jamais eu la chance de se trouver beau, de s’aimer. Être noir, c’était « porter la laideur comme un vêtement. »

Ce roman nous raconte notre présent. Les saisons les plus difficiles de nos vies sont souvent parsemées de « pourquoi ». Un « pourquoi » qui n’obtient de réponse que très rarement. Ici, Toni Morrison nous raconte le « comment », bien qu’il n’excuse rien. Le « comment » des choses, parfois, est ce qui vient nous rassurer lorsque la fin d’une histoire n’est pas très heureuse. L’autrice nous indique son intention dès le début du récit : « Mais comme le pourquoi est difficile à expliquer, on doit se réfugier dans le comment. »

L’œil le plus bleu, c’est le désir d’être vu par un monde qui ne nous voit pas. C’est aussi le désir de voir ce monde avec les yeux d’un autre et d’espérer que notre vie pourrait, pour une fois, avoir une meilleure fin.


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